© Pascale Hugonet - Built with Indexhibit

A l’origine de mon travail, une double question.
D’abord, le temps. Non pas le temps qui se mesure, mais celui plus poétique, plus existentiel, qui se perçoit ; Ce temps là ne peut se penser sans la question de la disparition.
Et puis l’écriture ; celle qui pourrait être un au delà du langage, une volonté de signifier autrement, contre la norme du lisible.
L’écriture illisible pour évoquer le non-dit, l’interdit, ce qui fait écart ou lien entre le dicible et l’indicible.

J’ai dès lors engagé un travail sur le signe, la trace, l’écriture spéculaire, la répétition du geste comme engagement physique du temps « en mouvement ».
Le récit rédigé est la matière première de l’œuvre ; quelque soit le geste, le texte est rendu illisible et je n’en garde pas copie. Il appartient au passé et ne laisse qu’une trace à peine visible de son existence. Il est là pourtant, qui structure l’œuvre.
Ainsi, je cherche à questionner le lien entre l’histoire (le récit) et la mémoire (sa trace subjective).

Chaque jour, comme une pulsion de vie, je suis à l’atelier…
Il y a d’abord une nécessité dans la mise en œuvre.
Elle démarre toujours par une matérialité affirmée : la cire, le torchon, le papier.
Puis je décide de l’identité narrative.
Par tâtonnements et ajustements successifs, le protocole se précise ensuite dans l’expérimentation ; formes, couleurs, assemblages, mes choix se font avec la matière, sans croquis préalable.
Le geste obsessionnellement répété en définit la topologie.
Une œuvre après l’autre, le mode d’intervention se déplace à peine, la série se dessinant imperceptiblement dans cette frêle évolution.

Influencée par l’œuvre de Dadamaino et ses Lettres muettes, ma recherche s’inscrit dans le non spectaculaire ; je raconte mon temps de façon silencieuse, n’en laissant deviner qu’un écho plastique.

Epigraphie et Stratigraphie évoquent la recherche en creux d’une écriture ancienne sous jacente, Le texte n’est quasi pas visible, seule demeure une géographie incisée dans la cire, révélant par endroits la profondeur de la matière.
Dans Journal, c’est le présent que j’écris à la peinture acrylique et que je fais disparaître par accumulation de textes. Les torchons anciens, utilisés comme support pour leur caractère d’humilté, s’accrochent tous dans des dispositifs différents et portent les titres de leur période d’écriture.
Sous texte questionne la trace. Ces textes sont des adresses passées par le filtre d’un drap. L’encre se dépose alors sur le papier, laissant l’ empreinte de la lettre.

P. Hugonet, octobre 2019

La démarche de Pascale Hugonet s’accomplit par le micro-geste, la répétition et principalement, sur le tableau comme lieu (de résidence) et pas pour d’autres questions théoriques par exemple. Quoique !
Elle poursuit depuis le début une expérience artistique qui commence comme celle des marins Portugais qui ont inventé la navigation. Partir du tableau, des sensations concrètes et sensibles, de manière empirique pour découvrir, “fabriquer” une connaissance, un [geste], une position déterminante, un programme. Ce n’est pas l’essence de la technique ou son âme qui gouvernent mais son [corps].
Pour dire en peu de mots quelle est sa pratique ? La métaphore est sûrement la meilleure façon. Et pour en choisir une, celle de la mer... en_corps. La mer calme, monochrome. La mer montre sa surface mais sa réalité c’est aussi l’abyme. Ce qui apparait au premier regard n’est que le chemin, un saut dans l’ouvert, vers les -ses- récits fantômes qui peuplent la matière qui capte le premier regard. Sans trahir plus ce qu’il y a à voir - seul possible- et le sensible qui l’habite, la question de l’écriture et ses corollaires formels ou essentiels, sont, en tous cas dans les derniers opus, des animaux de l’abyme.
Au final, face à ces formes, le regard proche ne peut échapper à la sidération...

Patrice Conte, juin 2020

Généralement, le dessin est une première pensée, une anticipation de l’œuvre à venir. La plume peut courir librement, parcourir la surface sans la délimiter, rester libre de son point de départ et de son avenir. Le dessin est un point de départ qui ne préjuge ni ne présume du résultat final, si ce n’est dans les grandes lignes.
Dans l’œuvre de certains (et de Pascale Hugonet, en particulier), le dessin n’est pas un outil, une étape, une anticipation mais une finalité. Il ne précède rien que d’autres dessins, au nombre illimité, à qui il prépare la voie, déblaie le terrain, ouvre des pistes. Le suivant ressemblera un peu à celui qui le précède et assez aussi à celui qui le suit. Mais aucune gémellité, impossible de se tromper ou de les confondre. Malgré un air de famille prononcé, chacun possède une personnalité affirmée, issue de même règle matière et couleurs. Et chacun s’intègre dans une famille évidente, à peine recomposée.
Bien sûr, les formats identiques, l’esthétique de la page pleine, l’aspect d’écriture barbare ou antique, la répétition de modules discrets, l’acharnement symptomatique à finir malgré tout tissent des rapprochements irrémédiables. L’obsession remplit l’espace selon des processus régissant chacune des séries et que l’on identifiera ou pas, c’est selon l’angle de visions, l’éloignement du sujet, la lumière portée.
Car autant que la finesse du trait, le noir de l’encre, la trace du scalpel ou l’épaisseur de la cire, sont présents l’ombre de l’épigraphie, le fantôme de l’estampage Han, l’empreinte d’artistes rares et presque oubliés du vingtième siècle, le support enfoui des tablettes coraniques et les planches millénaires des portraits du Fayoum. L’apparente absence d’épaisseur du trait, l’impalpabilité du support se remplissent aussi de cette impalpable et obsédante culture, toujours plus envahissante qu’elle paraît invisible.
Dessiner autant qu’écrire, écrire en même temps que dessiner, il y a quelque chose du livre invisible dans le travail de longue haleine de Pascale Hugonet. Mais dans le trait cursif ou rigide, dans l’écriture bâton ou presque cunéiforme, dans le lacis ou le damier, dans la résille et la grille, se glissent parfois un sens, des références et même, pourquoi pas une voix ancienne à ceux qui, pour l’entendre, se rapprocheraient dangereusement du papier.

Francois Bazzoli, février/mars 2016

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